Les arbres dansaient au rythme de vent léger qui faisait frémir leurs épines. Une douce brise venait de la mer et amenait avec elle des odeurs marines toutes particulières. Les vagues s’écrasaient sur le rivage gorgeant le sable d’eau. Le Soleil avait laissé place à la Lune et l’astre de nuit tentait désespérément d’éclairer le sol terrestre. On aurait presque imaginé que ce paysage était paradisiaque et pourtant… Tout y était noir, noir, noir…
Je refermai les yeux préférant savourer ces quelques minutes de paix. Après toutes ces nuits passées au bord de la mer, je connaissais les lieux par cœur et j’avançais d’un pas sûr. L’été avait été particulièrement chaud cette année et il était agréable de sortir la nuit. Je me retournai : là-bas à quelques kilomètres, la ville d’Emèra régnait sur la région alentour.
Emèra… Emèra avait été créée 300 ans plus tôt par un souverain aimé du peuple et fasciné par la culture grecque antique. Sa majesté avait donc pompeusement décidé d’appeler la ville « Jour »*. C’était ici que j’étais née et c’était sans doute ici que je mourrais enterrée dans un morbide et immense cimetière.
Je marchais donc et j’arrivais à hauteur d’un panneau (publicitaire ?). Sauf que cette nuit là, à part le panneau dont la lumière agressive me brûlait la peau, il y avait la présence d’autre chose, d’un moteur. Je reconnus immédiatement que c’était une voiture. Il y avait quelqu’un dans les parages ! Je me concentrai et perçus, grâce à ma fine ouïe, des bruits étouffés me parvenant du bord de mer.
A présent, je marchais en direction de la plage et du bruit. J’étais à peine méfiante, même si je savais que les hommes ont tendance à être agressifs la nuit.
« Qui est là ? »
Sa voix retentit tel un éclair et me glaça le sang. A vrai dire, je m’attendais à cette réaction, mais pas à cette voix… Elle était emplie de méfiance et de crainte, mais surtout de souffrance et de terreur. Je continuai à avancer mais avec beaucoup plus de prudence.
J’émergeai des arbres et arrivai sur la plage. L’autre se figea et à son tour, s’avança vers moi. Sa démarche était légère mais rapide. Les derniers mètres furent parcourus en courant. Moi, je ne bougeai pas et m’étonnai même par mon sang-froid. D’habitude, j’évite plus que possible les autres êtres humains. Ils me font peur et cherchent toujours d’une manière ou d’une autre à nuire à autrui.
La fille m’agrippa le bras avec violence et me fit sursauter. Ses mains étaient glacées et on sentait incroyablement ses os sous sa peau. L’inconnue devait être extrêmement maigre ! Elle agitait mon bras avec insistance et force. Sa voix m’effraya de nouveau :
« Je t’en prie. Je ne veux pas y retourner !... »
La fille émit un gémissement et j’en profitai pour me dégager. A présent, elle me faisait vraiment peur. Elle souffrait et était malheureuse, c’était évident. Malheur… Rien qu’à cette pensée, je frissonnais. Je connaissais bien le malheur, je ne pensais pas qu’il puisse m’arriver pires souffrances que celles qui m’avaient accablées et celles qui m’accablaient encore.
L’inconnue insistait fiévreusement et pleurait désespérée. Des gouttes d’eau salée perlèrent sur mes joues. Ce soir, je n’avais pas le courage d’affronter mes souvenirs. C’était trop. Je perdis tout mon courage et lui répondis d’une voix que je voulais ferme et qui ne réussit qu’à trembloter :
« Ecoute, je pense que tu ne vas pas très… bien, alors rentre chez toi. »
La fille s’écarta de moi définitivement et murmura comme pour elle-même, les yeux vides :
« Je ne veux pas rentrer… Je ne veux pas… Je ne veux pas les revoir… Plutôt mourir ! »