Jaune
Une si écarlate couleur
Couleur de la faune
Des sentiments de mon cœur
Un rayon de soleil
A la veille
D’un nouveau jour
Sous le signe de l’Amour
« Vous êtes blanche ! »
Les paroles de Namia ma revenaient souvent. Namia… Nous nous étions quittées trois mois plus tôt à la suite de la réforme de Jon Eleutéria. Nous communiquions par Internet une fois par semaine en moyenne. Malgré tout, elle me manquait considérablement...
« Rose, concentre-toi un peu sur ce que je te dis ! »
La jeune femme courant à mes côtés me tira de mes pensées en même temps qu’elle me tirait par le bras. Comme tous les jeudis matins, nous courions dans le Parc du Troubadour. Pour ne pas irrité ma compagne, je demandai :
« Que disais tu ?
- Je disais que les éditions Grimal refusent de publier ton dernier livre, soupira-t-elle. »
Phillipa était mon intermédiaire avec les maisons d’éditions. Elle était la seule à connaître le véritable nom qui se cachait derrière mon pseudonyme. Ce dernier était nécessaire, car mes livres traitaient des thèmes, comme le racisme et les apparences, qui dérangeaient.
« Mr l’éditeur aurait-il changé d’avis ? demandai-je.
- Il a été remplacé par un militant de l’ULD. De plus, il est vrai que ton dernier ouvrage est osé…
- … Il est démocratiquement correct, la coupai-je. J’y explique équitablement les avantages et les inconvénients de la réforme contre les émeutes raciales ! Les lecteurs ont le libre choix de leur opinion. »
Nous arrêtâmes notre jogging matinal. Je m’assis sur un banc pour reprendre mon souffle tandis que Phillipa buvait de grandes gorgées d’eau. La jeune femme me proposa la bouteille, je refusai et elle la rangea dans son sac à dos.
« Est-ce tout ?
- Non, dit-elle avant de marquer une pause. Un homme souhaite te rencontrer. Il a lu tous tes livres et désire te féliciter avec ferveur.
- Quand ?
- Vendredi midi, au restaurant Acapella. D’après moi, ce n’est pas raisonnable ! Réfléchis bien avant d’agir !
- Pourquoi pas ?
- Rose, ne sois pas insouciante ! Cet homme peut-être dangereux, avoir des idées d’extrémistes, te faire du chantage, que sais-je… Tu as beau écrire sous le pseudonyme d’Olivy tu n’es pas pour autant invulnérable ! »
Elle avait plus raison que je ne voulais l’admettre. Contrairement à moi, la jeune femme ne vivait pas seule, avait d’autres amis et d’autres occupations. Je n’avais que l’écriture et elle, j’avais perdu le reste : Namia, mes parents, Olivy et la vue.
« Très bien, annonçai-je sereine. Je ne suivrai pas tes conseils une seule et unique fois. »
Sur ce, je repris le chemin tout en sachant que c’était une fois de trop. Phillipa fit quelques enjambées pour me rattraper et se tut pendant la marche du retour, respectant mon choix. Elle s’était habituée à mon caractère ne cherchant pas à s’y heurter de peur de perdre notre précieuse amitié.
Le restaurant Acapella était situé au bord de la mer. D’architecture moderne, il n’entrait pas dans le cadre de mes modestes dépenses. Sachant que je ne payerai pas la note, ce déjeuner allait être un régal ! Le taxi me déposa devant le restaurant lorsque les cloches de l’église voisine sonnaient midi. Pour l’occasion, je m’étais coiffée décemment et avais enfilé une robe de saison.
« Bonjour mademoiselle, aviez vous réservé une table ? m’apostropha un placeur.
- Pas exactement. Un homme m’a invité à déjeuner chez vous. »
« Pourriez-vous me donner son nom ?
- Excusez-moi, je ne pourrais pas vous le donner avec exactitude… »
L’homme me tendit son livre des réservations à contre cœur. De plus en plus mal à l’aise, j’allais abandonner et retourner à mon appartement. Phillipa avait sans doute raison : l’homme devait être un imbécile qui cherchait, par pur plaisir, à me faire sortir de ma tanière…
« S’il vous plaît, mademoiselle. »
La voix grave d’un homme m’interpella au moment où je franchissais le seuil de la porte. En quelques pas, il fut près de moi. Me serrant la main, il me salua :
« Bonjour, je suis Matis d’Olynthe. Je vous remercie d’avoir accepté de déjeuner, mademoiselle Olivy. »
- Appelez-moi Rose, Olivy est juste un pseudonyme. »
Matis parut hésiter un instant, mais je ne fis pas attention à son léger trouble, car il se ressaisit très vite et m’invita à le suivre jusqu’à la table. Nous nous installâmes sur la terrasse qui donnait sur la plage. C’était marée basse et la mer était calme. Les vagues s’écrasaient sur le rivage, gorgeant le sable d’eau dans un étrange chuchotis qui me rappelait cette inoubliable nuit, 18 mois plus tôt…
« La vue est belle, n’est ce pas ? lança-t-il innocemment.
Il me tira violemment de mes souvenirs et, je le raillai de façon sarcastique tout en rajustant mes lunettes sur mon nez :
« Evitez-moi ce genre de commentaire !
- Excusez-moi, je m’attendais à tomber sur une vieille dame posée et philosophe, et je me retrouve en face d’une jolie jeune femme avec un fichu caractère. »
Sa remarque me fit rire. Plutôt gênée par ses belles manières, je changeai de sujet :
« Comment avez-vous trouvé mon dernier roman ?
- Formidable ! Votre point de vue sur les choses et les évènements me touche beaucoup. J’aime la façon dont vous raconter l’existence de cette femme soumise. C’est vraiment horrible, heureusement, de nos jours, notre pays est bien plus civilisé ! »
Au fil de sa réponse, mon sourire amusé s’était transformé en une moue interrogatrice et méfiante. J’avais tiqué sur sa dernière phrase. Cet homme n’était pas le fervent admirateur de mes livres mais un banal lecteur qui ne réfléchissait pas sur la signification des mots qu’il lisait. Je n’aimai pas la subite tournure des évènements et préférai abréger le déjeuner.
« Ecoutez-moi bien Matis, déclarai-je en me levant. Je pense que vous n’avez pas tout saisi. C’est l’histoire d’une femme soumise parmi tant d’autres, mais c’est aussi une vérité générale. A la place de la femme vous mettez le peuple et son mari qui la soumet, ce sont nos dirigeants. J’espère que vous comprendrez mieux pourquoi j’écris sous un pseudonyme. »
Je marquai une pause. Il n’avait pas tenté de m’interrompre et je sentais son regard qui me détaillait comme si c’était la première fois qu’il me voyait. Les embruns de la mer me parvenaient avec plus de force. J’emplis mes poumons d’air salé avant de lancer :
« Vous direz au serveur que la vue ne m’a plu. »
Je le laissai là. Malgré mon emportement, j’essayai calmement d’éviter les tables au bruit des conversations. A l’intérieur, je demandai gentiment à une serveuse de me mener jusqu’à la sortie.
Je pensais ne plus revoir Matis avant longtemps. Je me trompais.
A cette époque, j’habitais un appartement dans la banlieue sud d’Agora. Il était plus petit que le précédent, mais confortable. Je bénéficiais d’une terrasse, très utile en cette saison estivale. Ce n’était pas le paradis, mais Azur et moi nous y étions habitués sans difficulté.
Dimanche soir, je venais de faire la vaisselle et trouvais enfin un peu de temps pour écrire. Toute la journée, j’avais du courir entre mon appartement et le domicile de Phillipa. Nous devions fournir au plus vite des copies de mon manuscrit aux éditeurs potentiellement intéressés. J’entamais l’écriture d’un deuxième poème, lorsqu’Azur s’approcha de la porte, alerte. J’entendis des pas dans l’escalier, puis dans le couloir. Le bruit métallique de la sonnette me fit sursauter. Qui voulait me voir à cette heure tardive ? Si c’était Phillipa, elle aurait appelé avant de venir… J’attendis l’oreille collé à la porte. Pendant un moment, rien ne bougea. Je commençais à douter, pourtant mon chien était toujours là : attentif, silencieux et immobile. Comme pour lui donner raison, un soupir suivi de pas vers l’escalier retentirent. Sans réfléchir, j’ouvris la porte.
L’inconnu se retourna, me vit, me reconnut. J’attendais un mot, un son pour tenter de reconnaître sa voix. Il s’avança d’un pas dans ma direction.
« Bonsoir Rose. »
- Bonsoir Matis, le saluai-je, surprise d’entendre sa voix grave.
- Je suis désolé… je…
- Vous voulez un café ?
- Merci. »
Matis passa devant moi et je déchiffrai son parfum que cette fois-ci, je n’étais pas prête d’oublier : un savant mélange de lys et de jacinthe. Je lui préparai un expresso et m’assis en face de lui. Il n’était pas question que je boive du café sinon je ne dormirais pas. Bizarrement, je ne lui en voulais pas d’être venu, mais une question me brûlait les lèvres.
« Comment connaissez-vous mon adresse ?
- Votre café est délicieux, me complimenta-t-il tout en éludant ma question.
Je souris et n’insista pas. Il avait ses secrets, où était le mal ? J’en avais tant. De plus, sa voix grave était plus triste, moins enjouée que vendredi midi.
« J’espère que je ne vous dérange pas… Ce n’est pas poli de ma part, mais j’en avais besoin… Vous savez, reprit-il en se redressant dans le canapé, j’ai beaucoup réfléchi à vos propos et je pense que vous avez raison. J’étais ridicule. »
Sa dernière phrase me fit rire. En s’excusant, il avait perdu toute sa superbe d’homme. Sans comprendre, il vida sa tasse, soulagé.
Je m’étais arrêtée de rire depuis quelques minutes. Il ne disait rien, il m’observait. L’avais je vexé ?
« Qu’y a-t-il ?
- Vos yeux… Vous avez l’air si normal. J’ai l’impression, que vous lisez dans mes pensées… et pourtant.
- Une personne normale vous jugerait d’abord sur votre physique, votre apparence et non sur vous vraiment, répondis-je gênée.
- C’est pour cela que vous avez une mauvaise opinion de moi, rit-il.
Matis se leva pour mettre sa tasse dans le lave vaisselle, dissipant ainsi mon embarras.
Il s’assit devant mon ordinateur. Il lut. Au bout de quelques minutes, je décidais de me lever pour fermer le traitement de texte.
« C’est beau… »
Une larme glissa, involontaire et solitaire, sur ma joue. Six mois auparavant, Namia m’avait fait la même remarque, à la veille du départ de…
« Excusez-moi, je n’avais pas l’intention de vous attrister. C’était un compliment sincère. »
Je chassai d’un geste rageur la goutte d’eau salée et lui adressai un faible sourire. Je le remerciai en silence d’avoir sauvé la cuisine de l’inondation.
« Ne vous inquiétez pas pour moi, cette larme appartient au passé. »
Nous passèrent le reste de la soirée à bavarder joyeusement. Il avait le don de me faire rire et me fit oublier mes soucis quelques heures. L’aiguille de ma pendule avait depuis longtemps dépassé minuit lorsque je proposai à Matis de dormir sur le canapé pour éviter qu’il conduise de nuit. Il accepta et nous nous souhaitâmes une bonne nuit. Même si je n’avais pas bu de café, j’eus du mal à trouver le sommeil. En proie à des sentiments contradictoires, le marchand de sable ne vint me rendre visite que peu avant l’aube.
Le soleil devait être haut dans le ciel quand j’émergeai peu à peu de la brume de mes rêves. Le souvenir de la soirée acheva de me réveiller. Je tendis l’oreille : pas un souffle, juste le murmure de la douche de ma voisine de palier. Enfilant ma veste de pyjama, je sortis de la chambre. Il était parti. Me laissant tomber sur le canapé, je respirai à plein poumon le parfum de lys et de jacinthe qui s’en dégageait. Légèrement nostalgique, je me préparai un bol de céréales. Mes doigts rencontrèrent alors par un hasard un carré d’épais papier avec des écritures brailles.
« 11 rue de la Liberté
Algaïa
Tel : 0032511
Au plaisir de vous revoir.
Matis »*
Pour moi aussi se serait un plaisir…
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* : par soucis de compréhension, je ne vous ai pas retranscrit le message en braille