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    Le vent froissait la mer, la révulsait. Sur des kilomètres de côte, les vagues furieuses se dressaient pour retomber aussitôt contre les falaises de grès. Celles-ci s’élevaient grises et inébranlables, plaie suintante du combat perpétuel entre la terre et l’eau. La végétation y était rase et touffue, s’abritant des embruns salés tant bien que mal derrière les saillies rocheuses.

    A l’aplomb de ce tumulte, une petite chaumière tremblait sous l’assaut du vent. Il sifflait par les fentes étroites des fenêtres, claquait les volets entre eux et faisait craquer la charpente. Madeleine se concentrait sur son canevas. Au fil des points, le navire affrontant vaillamment la houle prenait forme. Ce travail demandait du temps et de la précision. Elle y mettait tant d’application pour faire abstraction de la tempête, mais dès que la bougie semblait s’éteindre, elle levait la tête de son ouvrage. A chaque rafale, la flamme vacillait, dessinant des ombres mouvantes sur les murs. C’était lorsqu’elle la croyait morte, qu’elle se ravivait et brillait de plus belle. A la fois puissante et fragile, comme l’espoir.

    Depuis le début de l’après-midi, le ciel s’était obscurci. De fins cirrus avaient strié le ciel. Ils s’étaient épaissis et amoncelés. La mer s’était retirée avec la marée. Les oiseaux avaient fui le rivage pour les arbres protecteurs à l’intérieur des terres. Puis, le soleil s’était noyé à l’horizon et il y eut le premier souffle, un soupir. Madeleine était en train de ramasser le linge dans la cour. Elle l’avait senti lui caresser la nuque. 

    Elle frissonna et attrapa un chandail sur la commode. Elle n’avait pas sommeil, elle n’avait pas envie de se retrouver seule dans le grand lit, entre les draps glacés, à écouter le vent se plaindre. Dans la chambre à côté, les enfants étaient paisiblement endormis. La jeune mère chaussa ses sandales et ouvrit la porte d’entrée. Aussitôt, un souffle rageur pénétra l’intérieur. La nappe frémit, les rideaux se révoltèrent. Sans hésitation, Madeleine sortit dans l’épaisseur noire de la nuit. 

    Elle emprunta le chemin menant à la grève. Il longeait la falaise et descendait jusqu’à la plage par un escalier vertigineux. Elle connaissait chaque pierre, chaque racine, chaque irrégularité. Elle se concentrait uniquement sur les assauts du vent. Depuis son plus jeune âge, elle parcourait ces paysages torturés. Chassant le lézard, se baignant dans l’eau salée ou inventant des histoires féeriques cachée dans des grottes insoupçonnées. Elle ne s’était jamais lassée de contempler la mer grise, peut-être parce qu’elle n’avait jamais perdu sa faculté à s’émerveiller d’un rien. Ce type de « distractions » était réservé aux intellectuels ou aux artistes. Madeleine avait du apprendre la patience, qualité bien plus indispensable dans son monde.

    Marchant à l’aveugle, la jeune femme laissa courir sa main le long de la paroi de grès. Lorsque celle-ci parut plus lisse, plus poisseuse, elle sut que ses pieds allaient s’enfoncer dans le sable mouillé. Alors, une lune ronde comme une pièce de monnaie illumina le spectacle grandiose qui se déroulait sous ses yeux. Les forces naturelles se déchainaient, avec une puissance et une grâce inattendues. L’éclat de lumière n’aurait duré qu’un instant. Le ciel noir avait déjà avalé l’astre. 

    Madeleine continua d’avancer à pas lents. Elle ne supportait pas les jours de tempête, il fallait qu’elle les affronte. Lorsque que les vagues les plus puissantes vinrent lécher les galets à ses pieds, elle s’arrêta. Les grains de sable fouettaient ses mollets. Le sel brûlait sa peau, l’eau la glaçait. Toute son attention se concentrait sur les hurlements du vent. Elle l’écoutait, espérant deviner des nouvelles du large.

    En pleine tourmente, elle tenait bon telle la proue d’un navire. Le regard fixé sur l’horizon agité. 
    Inébranlable.


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