• 1.1

     

    Rose

    Une si douce couleur

    Représentative du bonheur

    Une fleur morose

    Sans vie, sans vue

    Une reine déchue

    Dans un jardin déserté

    Pour l’éternité

     

     

    La nature avait suivi son immuable cycle des saisons. L’été avec ses jours pluvieux, l’hiver avec ses jours enneigés et enfin le printemps avec ses jours nuageux. Les bourgeons trop longtemps restés fermés éclataient. Les oiseaux revenaient à la recherche de l’amour. Les arbres retrouvaient leur manteau de feuilles. La nature revivait après ces quelques mois d’hibernation.

    Moi aussi, je revivais et recommençais à hanter la nuit le bord de mer. Neuf mois s’était écoulés depuis ma mystérieuse rencontre nocturne. Neuf mois que j’habitais avec ma colocataire. Neuf mois pendant lesquels la Terre avait tourné et les Hommes s’étaient entre-tués.

    J’allais sortir et m’habillais chaudement quand ma colocataire alluma la télévision. Les informations étaient toujours aussi macabres et j’y prêtais une oreille distraite. La voix monotone de la présentatrice résonnait dans le salon :

                    « Les armées du Zimbabwe ont massacré la ville de Maramba dans le but dans le but de contrôler les ressources en eau du lac Kariba. La Zambie a répliqué en menaçant le Zimbabwe de l’envoie de missiles importés grâce au trafic d’arme […]. »

                    C’était toujours la même histoire sauf qu’il s’agissait à chaque fois d’un pays différent. Une chose était certaine dans ces conflits : l’Homme en était la cause et la conquête de l’eau en était le but. Tous ces massacres était du à l’augmentation du prix de l’or bleu plus cher que l’or noir. Seule la Triade et les trafiquants d’armes profitaient et gaspillaient les dernières ressources de la Terre.

    Je laissais ces problèmes à nos stupides et cupides dirigeants. Cependant, Olivy semblait préoccupée par ces conflits. Ma colocataire ne paraissait pas vivre dans la même bulle que celle de la population de mon pays. Elle avait l’habitude d’être discrète. Je m’apprêtai à passer le seuil de la porte de mon appartement quand elle sortit de l’une de ces profondes réflexions.

                    « Où vas-tu Rose ? »

                    Sa question me surprit. Olivy n’avait jamais cherché à savoir où je partais les nuits et je n’avais jamais cherché à savoir pourquoi elle n’était pas retournée parmis les siens. Je répondai après un cours silence :

                    « Je vais me promener sur la plage ?

    - De nuit avec des lunettes de soleil ? »

    Je remarquai que la TV était éteinte, fait surprenant. Elle répéta sa question même si elle savait que je l’avais entendu :

    « Que caches-tu derrière ces lunettes, Rose ?

    - La vérité, me surpris-je à répondre. »

    Olivy retira délicatement mes lunettes, effleurant ma peau de ses doigts froids. J’avais ouvert les yeux : je ne voulais pas qu’elle comprenne, qu’elle parte. Je ne voulais pas me retrouver seule, je ne voulais pas qu’elle éteigne la faible lueur qu’elle avait allumée. Je n’osais pas m’imaginer en compagnie de mes fantômes dans cette imperméable et infinie obscurité.

    Ma jeune colocataire parut réfléchir, avant de demander :

    « Comment est-ce arrivé ? »

    Je tressaillis : elle avait compris… Olivy m’invita à m’asseoir sur le canapé. Sa voix douce et encourageante ajouta :

    « Raconte-moi, s’il te plaît. »

                    Je ne m’étais rendu compte de rien avant mes huit ans, et ma mère non plus. Pour mon anniversaire, elle m’avait offert des cours de piano chez notre voisine.

    « Bonjour petite Rose. Viens, assied toi  au piano. »

                    La vieille dame Sigè me faisait un peu peur : elle n’avait plus de sourcils et mettait une couche épaisse de fond de teint pour cacher ses rides. La professeure installa une page blanche sur le piano et elle me montra du doigt des points invisibles.

                    « Ceci est une partition, ici tu peux voir une portée, là une note.

                    - Je ne vois rien.

                    - Vraiment ? Regarde bien : les bâtons avec des points noirs sont des notes. »

                    A la fin du cours, elle avait voulu voir ma mère. Elles avaient parlé longtemps. Je les entendais à peine :

                    «  Rose ?... Vous croyez… Je n’avais pas remarqué… Pourtant… Vous avez raison… Mr Durant, dites-vous ?... J’irai… De rien… »

                    Sur le chemin du retour, maman avait semblé perturber. Je m’inquiétai alors pour elle :

                    « Maman, ça va ? T’as plein de rides sur le front !

                    - Ca va ma chérie, me sourit-elle. Comment s’est passé ton cours ?

                    - J’n’ai pas compris grand chose. La dame m’a montré plein de pages blanches et elle a dit n’importe quoi.

                    - Dis-moi chérie, ces derniers temps as-tu remarqué des transformations ? un je-ne-sais-quoi différend ?

                    - Nan, répondis-je en enfournant mon pouce dans ma bouche. »

                    La discussion était close.

                    Quelques jours plus tard, ma mère m’emmenait chez l’ophtalmologiste. Il me fit lire des pages blanches, puis avec des gribouillis et enfin, avec des vraies lettres. La consultation commença sérieusement à m’ennuyer et maman me laissa jouer avec les jouets du docteur. Pendant ce temps, les deux adultes parlèrent : l’homme était posé, la femme légèrement stridente. Moi, je jouais insouciante.

                    A Noël, je reçus de magnifiques lunettes et je repris les cours de piano avec Mme Sigè. Je voyais les notes, les portées, j’étais heureuse. De plus, la musique que produisait l’instrument me plaisait. Ma vie s’écoula et mes visites chez Mr Durant, le docteur, se multiplièrent…

                    Ma crise d’adolescence vint comme tout le reste. Plus ma poitrine poussait, plus je perdais la vue. Mes amies parlaient de garçons et d’études supérieurs. Moi, je savais que je ne pourrais jamais poursuivre mes rêves. A la maison, je devenais de plus en plus insupportable, mais mes parents acceptaient mes crises de colère sachant que j’étais leur unique fille. Ma maladie était due à une anomalie génétique et ils se culpabilisaient au point de ne vouloir aucun autre enfant…  En faite, c’est à partir de quatorze ans que je devins malheureuse et… aveugle.

                    J’arrêtai mon récit et me tournai vers Olivy. Elle ne m’avait pas interrompu et j’attendis un commentaire de sa part :

                    « Ta maladie ne s’est pas développée immédiatement. Tu as des souvenirs, non ?

                    - Presque pas. Quand tu es jeune, tu ne fais pas attention au monde qui t’entoure. Te souviens-tu de la couleur des cheveux de ta poupée ?

                    - Non, admit ma colocataire.

                    - De plus, avec le temps, tu crois que toutes ces couleurs ne sont qu’un rêve. S’y accroché, c’est vouloir sa mort… Tu ne peux pas construire ta vi sur le passé !

                    Ma remarque parut la perturber un instant, mais elle se reprit.

                    « Tu as tes parents pour t’aider, non ?

                    - J’avais, rectifiai-je, amère. Le 20 février, il y a 2 ans, ils ont eu un accident d’avion. Mes parents sont partis en vacances en Andalousie. Ils ne sont jamais arrivés… 

    Ensuite, j’ai traversé une dure période. Mon père avait des dettes et j’ai du vendre la maison et les véhicules. Avec l’argent, j’ai remboursé ses dettes et je me suis achetée ce petit appartement : pas trop loin du centre ville et du cimetière. Je me retrouvai seule et pour unique compagnie le noir. Jusqu’à notre rencontre… »

                    Olivy me serra timidement dans ses bras et tenta de me rassurer :

                    «  Ne t’inquiète pas je ne te laisserai pas tomber. On va s’en sortir ensemble ! »

                    A ses mots, je me rendis compte que ma colocataire avait autant besoin de moi que j’avais besoin d’elle…

                    J’étais encore plongée dans mes pensées lorsqu’Olivy ralluma la télévision. La présentatrice du journal de 20 heures continuait toujours son monologue :

                    « Nouvelles émeutes raciales dans la banlieue d’Agora, notre capitale… »

     

     


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