Personne n'avait jamais demandé son avis à Kimiko. Très jeune, elle avait été contrainte et forcée d'épouser un empereur orgueilleux, affadi par les années de pouvoir. Comme elle le lui devait, elle lui avait donné des enfants à peine son premier sang avait-il coulé. Elle passait ses journées à broder, entendre les luths vibrer et ses demoiselles de compagnie se complaire. Seule, le soir, lorsque le soleil rouge la regardait droit dans les yeux, elle avait l'intime conviction qu'elle n'était pas née pour cette vie-là.

Un matin brumeux, l'âme de son époux s'évada du corps impérial. Elle dut pleurer sa mort, puis devint la régente de son fils aîné : le seul homme, âgé de dix ans tout juste, qui ne l'eusse jamais écoutée.

A partir de ce jour funeste, le soleil ne parut plus que teinté de rouge. Les rivières s'assombrirent à force de sang versé. Les bambous devinrent tranchants comme des lames et, les flammes des dragons se firent plus incandescentes que la lave. Tout un peuple subit la haine d'une seule femme. Ce furent les Années Ecarlates.

Le jeune empereur, devenu homme, aurait pu suivre l'exemple de sa mère, s'il n'avait rencontré Nergüi. Elle venait d'au-delà les montagnes, là où les yeux ne s'étirent pas à la vue du soleil rouge. Ses yeux étaient bleus comme le ciel d'antan. C'était au cours d'une chasse à l'ours. Il n'y avait plus de guerre depuis longtemps, bien avant que la brume ne voile la voûte céleste. La jeune femme marchait droit vers le levant. Ses mains étaient violacées et son visage figé par le froid. Il la conduisit à la pagode la plus proche. Elle avait besoin de soins et, jamais sa mère n'aurait autorisé une personne du même sexe au palais. L'empereur rentra mais toutes ses pensées restèrent auprès de la belle inconnue.

Le lendemain, des cris de joie le réveillèrent : les rayons dorés du soleil illuminaient sa chambre. Il se surprit à sourire. Nergüi était la raison de ce miracle inespéré, il en était persuadé. Toutefois, il se garda bien d'en souffler mot à Kimiko. Celle-ci punissait dans un bain de sang quiconque surprenait-elle à exprimer son allégresse. L'unique soleil dans ce bas-monde était son fils.

Ce fut le dernier massacre, elle en fut l'ultime victime. Les dragons avaient retrouvé leur maître absolu. La crainte ne paralysait plus le peuple à présent porté par un espoir divin.

Une fois qu'elle eut retrouvé un teint de pêche, Nergüi descendit des montagnes sur ordre de sa majesté. L'empereur, seul à gouverner, désira ardemment l'épouser. La jeune femme refusa en ces termes :

« D'abord, il te faut apprendre à aimer. »

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Nergüi : « sans nom » en mongolien.
Kimiko : composé de kimi, impératrice, et ko, enfant, en japonais.

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